“Ma royauté ne vient pas de ce monde. “
Jean 18, 33-37
Sermon du 25 mars 1622. (X 360)
Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Dans ce titre sont signifiées les causes de cette divine Passion ; car bien qu’il y ait quatre paroles, elles ne signifient pourtant pas quatre causes de sa mort, mais seulement deux.
Jésus veut dire Sauveur : or, il est mort parce que, pour nous sauver, il fallait mourir. Il était Nazaréen qui veut dire fleuri, à savoir saint et innocent, sans tache ni rouille de péché, mais fleurissant en toute sorte de vertus.
Roi des Juifs, c’est à dire qu’il est Sauveur et Roi tout à la fois. Il est donc Roi, mais seulement des Juifs, c’est-à-dire de ceux-là qui le confessent, comme le rappelle saint Paul dans la lettre aux Romains ; oui, il est véritablement mort, et de la mort de la croix…
Que reste-t-il donc, et quelle conséquence pouvons-nous tirer de cela : puisqu’il est mort d’amour pour nous, mourrons, nous aussi, d’amour pour lui, ou si nous ne pouvons mourir d’amour, que du moins nous ne vivions que pour lui ?
Saint Augustin se plaignait dans un sermon : 0 Seigneur, disait-il, est-il possible que l’homme sache que vous êtes mort pour lui et qu’il ne vive pas pour vous ? Et saint François d’Assise, ce grand amoureux, disait en sanglotant : Ha ! vous êtes mort d’amour et personne ne vous aime !
Il est donc mort ; mais bien qu’il soit mort et élevé sur la croix, ceux qui ne le regarderont pas mourront, car il n’y a point d’autre rédemption qu’en cette Croix. Peut-on, je vous prie, contempler l’humilité de notre Sauveur sur la croix sans devenir humble ? Peut-on voir son obéissance sans être obéissant ?
” … sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.”
Marc 13, 24-32
Traité de l’Amour de Dieu, Livre 3 chap. 4 (IV 181)
“Qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé !” La persévérance est la grâce la plus précieuse que nous puissions espérer en cette vie, et nous ne pouvons la recevoir que de Dieu, qui seul peut affermir celui qui est debout, et relever celui qui tombe. C’est pourquoi il faut continuellement la demander, par les moyens que Dieu lui-même nous a enseignés.
… Nous pouvons tous dire en vérité, après l’Apôtre saint Paul, que “ni la mort, ni la vie, ni les forces, ni les anges, ni la profondeur, ni la hauteur ne nous pourra jamais nous séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus Christ”. Oui, aucune créature ne pourra jamais nous arracher de cet amour.
Ainsi, nous devons “mettre toute notre espérance en Dieu qui conduira à son terme l’œuvre de salut qu’il a commencée en nous, pourvu que nous soyons fidèles à sa grâce.” Car il ne faut pas penser que celui qui dit au paralytique : “Va et ne pèche plus”, ne lui donnerait pas le pouvoir de ne plus vouloir pécher…
Comme une mère, qui promène doucement son petit enfant, lui laissant faire seul quelques pas dans les endroits moins dangereux, tantôt le prenant par la main, tantôt le portant dans ses bras, de même Notre Seigneur pend soin continuellement de ses enfants, les faisant marcher devant lui, leur tendant la main dans les difficultés, et les portant lui-même dans les peines qui leur sont trop lourdes. N’est-ce pas ce qu’il avait lui-même annoncé par la voix du prophète Isaïe :”Je suis ton Dieu, prenant ta main et te disant : ne crains pas, c’est moi qui te viens en aide.”
“Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat…
Marc 12,38-44
Sermons du 29 septembre 1617 et 13 déc. 1620 (IX 109 et 431)
Le vrai humble ne regarde jamais en lui ce qui est excellent, ni les dignités, ni les grandeurs et charges auxquelles il est élevé; il ne veut pas qu’on parle de lui pour toutes ces choses, ni qu’on l’estime davantage ; il ignore tout cela par humilité, et ne considère en lui que ce qui est pauvre et médiocre.
Bienheureuses sont les âmes humbles d’une simplicité vraie, car, telle révérence, telles paroles d’humilité, tout cela est peu de chose si vous n’avez au cœur une modestie vraie et sincère, qui vous fasse connaître vos misères, défauts et imperfections, vous reconnaissant la plus pauvre de toutes les créatures et vous soumettant de bon cœur aux autres pour l’amour de Notre Seigneur…
Et si vous avez la charité et que vous n’ayez point d’humilité, vous n’avez pas véritablement la charité, car ces deux vertus ont une si grande sympathie entre elles, que l’une ne va pas sans l’autre. Plus nous avons de charité, plus nous avons d’humilité…
Certes, de tout temps, la divine sagesse a regardé les humbles d’un bon œil, elle a abaissé ceux qui s’exaltent et élevé ceux qui s’humilient. Il y a des personnes si pleines d’orgueil qu’elles ne peuvent se soumettre à personne, ni souffrir qu’on dise ce qu’elles sont. Elles veulent se préférer à tous, s’estimant plus savantes que nul autre et il leur semble qu’elles n’ont point besoin de maître. Cependant de tels êtres sont souvent grandement ignorants, mais on n’ose pas leur dire, car ils présument d’eux-mêmes à merveille ! Dieu les laisse et regarde les humbles qui sont sur la terre, dont le siège est le dernier.
“Le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. “
Marc 12, 28-34
Opuscules 6ème série (Œuvres de St François de Sales, XXVI, 408)
Enfin, ô Père, vous et votre Fils bien aimé m’avez déclaré votre volonté quand celui-ci a dit : “Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même.”
O Père, puisque votre volonté est que je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces, donnez-moi, ô Père, de faire ce que vous ordonnez et ce que vous voulez.
Source de charité, donnez-moi la charité ; abîme d’amour infini, donnez-moi l’amour. Allumez, Père, cette lampe de mon âme avec la lumière de votre amour.
Vous nous avez ordonné, Père, qu’il y eût toujours du feu sur votre autel. Je vous offre, ô Père, mon âme pour autel ; faites que le feu de votre amour brûle sans cesse en elle.
O Lumière éternelle, “qui éclairez toute lumière et consumez dans l’éternelle splendeur des milliers et des milliers d’étincelants flambeaux devant le trône de votre Divinité dès le point du jour ! ” [1]
O Lumière éternelle, qui éclairez toute lumière et la conservez dans votre éternelle splendeur, des milliers et des milliers d’Anges sont devant votre Majesté comme autant de flambeaux allumés par le feu de votre charité ; ils brûlent continuellement sans se brûler, ni se consumer.
Permettez-moi, mon Dieu et mon Père, d’approcher de vous, Feu d’amour, ce flambeau de mon âme, afin qu’étant allumé, il brûle sans cesse, vous aimant vous-même et le prochain en vous : ainsi sera faite en moi votre sainte volonté.
[1] Dans un sermon de St Bernard
” Confiance, lève-toi, il t’appelle ! “
Marc 10, 46-52
Entretien sur la confiance (Œuvres de St François de Sales VI 20)
Vous me demandez si une âme ayant le sentiment de sa misère peut aller à Dieu avec une grande confiance. Or, je réponds que non seulement l’âme qui a la connaissance de sa misère peut avoir une grande confiance en Dieu, mais qu’elle ne peut pas avoir une vraie confiance si elle n’a pas la connaissance de sa misère, car cette connaissance de notre misère nous introduit devant Dieu.
Ainsi tous les grands saints, comme Job, David et les autres, commençaient tous leurs prières par la confession de leur misère.
Si Dieu n’avait pas créé l’homme, il eut été vraiment tout bon, mais pas miséricordieux, car la miséricorde ne s’exerce qu’envers les misérables.
Vous voyez bien que plus nous nous reconnaissons misérables, plus nous avons l’occasion de nous confier en Dieu. La défiance de nous-mêmes provient de la connaissance de nos imperfections. Il est bien bon de se défier de soi-même, mais à quoi cela servirait-il, sinon pour jeter toute notre confiance en Dieu et attendre sa miséricorde ?
Les fautes et les infidélités que nous commettons tous les jours nous apportent de la confusion lorsque nous voulons nous approcher de Dieu, et il est bien raisonnable, qu’ayant offensé Dieu, nous nous retirions un peu par humilité, et demeurions confus.
Ce petit retour en arrière ne se fait que pour mieux s’élancer en Dieu par un acte d’amour et de confiance, mais il ne faut pas confondre tristement et avec inquiétude : c’est l’amour propre qui nous donne ces confusions-là, parce que nous sommes mécontents de n’être pas parfaits, non pas tant pour l’amour de Dieu que pour l’amour de nous-mêmes…
Dieu ne change jamais et demeure toujours aussi bon et miséricordieux, quand nous sommes faibles et imparfaits que quand nous sommes forts et parfaits.
Monastère de la Visitation Fribourg
” Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? “
Marc 10, 35-45
Sermon de St François de Sales, 6 mai 1616 ou 17 (Œuvres IX 78)
Jésus dit à ses Apôtres au sujet de l’ambition de ces deux saints : Ne pensez pas que pour avoir des dignités et avantages en mon Royaume, vous ayez pour cela plus de gloire et d’amour. Vous que j’ai choisis et élus pour être assis sur des trônes, pour juger avec moi au jour du jugement, vous n’aurez pas plus de gloire pour cela.
Jésus dit à ces deux saints : “Pouvez-vous boire avec moi le calice qui m’est préparé ? Ils répondirent : “Nous le pouvons.” Et il ajouta : Savez-vous ce que c’est que boire mon calice ? Ne pensez pas que ce soit avoir des dignités, des faveurs, ô non certes : mais boire mon calice, c’est participer à ma passion, endurer des peines et souffrances, des clous, des épines….
Voyez-vous, lorsque nous avons des bons sentiments et des consolations, il nous semble que nous ferons des merveilles ; mais aux moindres petites occasions, nous donnons du nez en terre. Si l’on nous touche le bout du doigt ou le bout du pied, nous nous retirons aussitôt ; si on nous dit une petite parole qui ne soit pas selon notre gré, nous nous offensons …
Nous faisons en esprit de beaux exploits et de belles résolutions, nous imaginant faire de belles choses pour Dieu ; mais quand une difficulté apparaît, nous tournons le dos et manquons de courage et de fidélité.
Plusieurs désirent et veulent savoir le degré de gloire qu’ils auront au ciel. C’est une grande impertinence de vouloir s’enquérir de cela. Nous devons servir Dieu le plus fidèlement possible, observant ses commandements et sa volonté. Inutile de chercher la récompense qu’il nous donnera, laissant cela à sa bonté qui ne manquera pas de nous récompenser d’une gloire infinie et incompréhensible, se donnant lui-même à nous pour récompense.
Il faut renoncer à nous-même et prendre la croix, il nous faut nous défaire de nos mauvaises inclinations. Enfin il nous faut vendre tout pour avoir cette précieuse perle de l’amour que Dieu se prépare à nous donner, si nous sommes fidèles à travailler pour l’acquérir.
” Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! ”
Marc 10, 17-30
Introduction à la vie dévote, 3ème partie chapitre 14 (III, 184)
Bienheureux les pauvres d’esprit, car le Royaume des cieux est à eux. Malheureux donc sont les riches en esprit ! Est riche en esprit celui qui a l’esprit tout occupé, ou qui met tout son esprit, dans les richesses. Est pauvre en esprit celui dont l’esprit n’est occupé d’aucune richesse.
Les oiseaux de mer font leur nid comme une paume, et ne laissent qu’une petite ouverture vers le haut ; ils les mettent sur le bord de la mer et les font si fermes et impénétrables que jamais l’eau ne peut entrer ; se maintenant à la surface, ils demeurent dans la mer, sur la mer et maîtres de la mer.
Votre cœur doit être comme cela, Philothée, ouvert seulement au ciel, et impénétrable aux richesses et aux choses qui passent. Si vous avez des richesses, ne laissez pas votre cœur s’y attacher ; qu’il se tienne toujours au-dessus et que, même parmi les richesses, il soit maître et non esclave. Votre esprit est fait pour le ciel, ne le mettez pas dans les biens de la terre.
Il y a une différence entre avoir du poison et être empoisonné : les apothicaires disposent de poisons, utiles en diverses occasions, ils n’en sont pas pour autant empoisonnés ; ils n’ont pas le poison dans le corps, mais dans leur boutique. Ainsi, pouvez-vous avoir des richesses, sans être empoisonné par elles, à condition de les tenir dans votre maison et non pas en votre cœur. Être riche de fait, et pauvre de cœur, c’est la condition du bonheur.
… Ne désirez donc pas d’un grand désir le bien que vous n’avez pas, ne mettez pas votre cœur dans celui que vous avez, et vous serez bienheureuse car le “Royaume des cieux vous appartient.”
“Laissez les enfants venir à moi”
Mc 10, 2-16
Avis à une religieuse de la Visitation d’Annecy 1611-18 (Œuvres de St François de Sales XXVI, 297)
Ayez grand soin de simplifier votre esprit de toutes les choses inutiles, et quand elles se présentent, ôtez-les tout simplement, et retournez votre cœur vers Notre Seigneur sans les regarder. Employez-vous de tout votre cœur à ce travail pour l’amour de Dieu. Faites toutes choses pour Notre Seigneur, avec une intention pure, sans vous soucier de ce que pensent les autres. Si vous faites ainsi, vous aurez un jour la simplicité des enfants de Dieu.
Il faut être simple comme des petits enfants pour entrer au Royaume des cieux. Allez ainsi, simplement et sans réflexion. Ne distrayez pas votre esprit avec ce qui se passe autour de vous. Il faut être comme une colombe, et n’avoir rien au cœur que Notre Seigneur et le désir de lui plaire, et être tellement simple que vous puissiez dire en vérité : je ne pense à rien, sauf ce à quoi je suis obligée de penser. Retranchez de votre cœur toutes sortes de réflexions contraires à la simplicité. Que votre esprit ne regarde pas ces difficultés, mais combattez-les en les ignorant.
Tenez votre cœur proche de Dieu. C’est le moyen d’être simple, puisque Dieu est un Esprit simplificateur. Spécialement à l’oraison, soyez comme une statue dans sa niche, sans rien vouloir d’autre que plaire à votre Époux.
Donnez-vous toute à lui ; remettez-lui votre réputation et votre propre estime. S’il veut que l’on vous aime, il le permettra bien ; s’il veut que l’on vous humilie, de même. Laissez-le prendre soin de vous, n’ayez souci que de lui plaire et demeurez en la place où vous êtes sans rien vouloir de plus.
” Celui qui vous donnera un verre d’eau… ne restera pas sans récompense “
Marc 9, 38-48
Traité de l’Amour de Dieu, Livre 12 chap. 7 (V, 330)
Notre Seigneur, d’après les Anciens, avait coutume de dire à ses disciples : “Soyez de bons changeurs”. Si l’or de l’écu n’est pas bon, s’il n’a pas son poids, s’il n’est pas frappé d’un coin légitime, on le rejette comme non recevable.
Si une œuvre n’est pas de bonne qualité, si elle n’est pas marquée par la charité, si l’intention n’est pas pure, elle ne sera pas agréable à Dieu.
Si je jeûne pour économiser, mon jeûne ne vaut pas grand-chose. Si je jeûne seulement pour me faire voir ou pour faire comme les autres, cette œuvre n’est pas marquée d’une intention droite. Mais si je jeûne par sobriété, si je suis dans la grâce de Dieu, et que j’aie l’intention de Lui plaire, cette œuvre sera une bonne monnaie, propre à accroître en moi le trésor de la charité.
Les petites actions bien faites, avec pureté d’intentions et une forte volonté de plaire à Dieu, nous sanctifient vraiment.
Il y a des personnes qui mangent beaucoup, et sont toujours maigres, extenuées et épuisées, parce qu’elles n’ont pas une bonne digestion ; il y en a d’autres qui mangent peu, et sont toujours vigoureuses, parce qu’elles ont un bon estomac.
Ainsi il y a des âmes qui font beaucoup de bonnes œuvres et croissent peu en charité, parce qu’elles les font sans conviction, ou par habitude plus que par ferveur ou inspiration divine.
Au contraire, il y en a qui font peu, mais avec une volonté et une intention si pures, qu’elles progressent rapidement dans le divin amour : elles ont peu de talents, mais elles les font fructifier si fidèlement que le Seigneur les en récompense largement.
” Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes “
Marc 9, 30-37
Du Traité de l’Amour de Dieu L. 2 chap. 8 et L. 10 chap.17 (IV, 111 et V, 231)
La rédemption du Sauveur nous est donnée à chacun de manière différente. L’Amour est le moyen universel de notre salut. Il est présent partout. Sans lui, rien ne peut nous sauver. C’est pourquoi, dans la Genèse, Dieu posta un chérubin avec son épée flamboyante pour nous apprendre que nul n’entrera au paradis s’il n’a été transpercé du glaive de l’Amour.
Théotime, Jésus qui nous a rachetés par son sang, désire infiniment que nous l’aimions, afin que nous soyons sauvés ; et il désire que nous soyons sauvés afin que nous l’aimions éternellement. Son amour ne tend qu’à notre salut et notre salut à son amour…
“Je dois être baptisé d’un baptême, et comme je suis angoissé et pressé jusqu’à ce que je l’accomplisse”. L’heure n’était pas encore venue d’être baptisé en son sang, et il l’attendait, cette heure, en raison de l’amour qu’il nous portait, et qui le poussait à désirer que nous soyons enfin délivrés, par sa mort, de la mort éternelle…
Enfin, Théotime, ce Dieu d’amour mourut dans un feu d’amour, en raison de l’infinie charité dont il nous aimait, et par la force de cet amour. Il mourut dans l’amour, par l’amour. Il mourut d’amour.
Les cruels tourments qu’il endura auraient été suffisants pour faire mourir n’importe qui. Mais la mort n’aurait jamais pu atteindre Celui qui tient les clés de la vie et de la mort, si le divin amour qui tient ces clés entre ses mains n’avait ouvert les portes à la mort afin qu’elle allât frapper ce corps divin et lui ôter la vie. L’amour ne s’était pas contenté de le rendre mortel, il voulut qu’il fût mort.
Mon Dieu, Théotime, quel brasier d’amour que voilà ! Avec quelles flammes devrions-nous accomplir les œuvres de l’amour, pour l’amour de notre Sauveur, puisqu’il nous en a donné tant de preuves…
Que la charité de Jésus-Christ nous presse donc toujours !
” Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. ”
Marc 8, 27-35
Lettre à Mme Brulard du 13 oct. 1604 (Œuvres de St François de Sales, XII 349, 351)
et sermon du 8 fév. 1614 (Œuvres IX 18, 21)
Il faut non seulement vouloir faire la volonté de Dieu, mais il faut la faire gaiement…
Il ne faut pas porter la croix des autres, mais la sienne : Notre Seigneur veut que chacun renonce à soi-même, c’est-à-dire, à sa propre volonté. Je voudrais bien ceci et cela, je serais mieux ici ou là : ce sont tentations. Notre Seigneur sait bien ce qu’il fait ; faisons ce qu’il veut, demeurons là où il nous a mis.
Il faut aimer ce que Dieu aime, or, il aime notre vocation ; aimons-la nous aussi…
Notre Seigneur dit que l’on prenne sa croix. Voulez-vous savoir en un mot ce que cela signifie ? Cela revient à dire : prenez et recevez de bon cœur toutes les peines, contradictions, afflictions qui vous arriveront en cette vie.
En renonçant de nous-même, nous faisons encore quelque chose qui nous contente, parce que c’est nous-mêmes qui agissons, mais il faut prendre la croix telle que la vie nous l’impose ; et ainsi il y va moins de notre choix, c’est pourquoi, c’est un point de perfection beaucoup plus grand…
Qu’on prenne sa croix sous-entend de recevoir de bon cœur les contradictions qui nous sont faites à toutes rencontres, même si elles sont légères et de peu d’importance.
Tous les chrétiens qui aspirent au ciel suivent le Christ, car c’est par les mérites du Sauveur qu’on espère le ciel, en observant Ses commandements : suivre Notre Seigneur, c’est marcher sur ses pas, imiter ses vertus, faire ses volontés …
Si vous persévérez, à la fin vous jouirez de le voir face à face, il s’entretiendra familièrement avec vous comme l’ami avec son ami, et cet entretien durera éternellement.
” Il lui dit : Effata ! Ouvre-toi ! ” Marc 7, 31-37
Traité de l’amour de Dieu Livre 2 chapitre 12 (Œuvres de St François de Sales IV, 128)
Si quelqu’un disait que notre libre arbitre ne coopère pas quand il consent à la grâce de Dieu, ou qu’il ne peut pas résister à la grâce et lui refuser son consentement, il contredirait toute l’Ecriture, et tous les Pères de l’Eglise, aussi bien que l’expérience.
Mais quand il est dit que nous pouvons rejeter l’inspiration du ciel et les attraits divins, on ne veut pas signifier par là que nous puissions empêcher Dieu de nous inspirer ou d’attirer notre cœur. Car comme je l’ai déjà dit : cela se fait “en nous” mais “sans nous.” Ce sont des faveurs dont Dieu nous gratifie, avant même que nous y ayons pensé. Mais à nous, il revient de nous lever ou de ne pas nous lever à son appel : il nous éveille sans nous ; il ne nous lèvera pas sans nous. Or c’est résister à son appel que de ne pas se lever et de se rendormir, puisqu’il nous éveille que pour nous faire nous lever. Nous ne pouvons pas empêcher que l’inspiration ne nous presse et par conséquent ne nous secoue. Mais si à mesure qu’elle nous presse, nous la repoussons pour ne pas nous laisser emporter par son mouvement, alors nous résistons.
Ainsi le vent ayant saisi et enlevé les oiseaux apodes[1], il ne les emmènera pas bien loin s’ils n’étendent leurs ailes et ne coopèrent pas en s’élevant dans les airs et en volant. S’ils sont engourdis d’être restés trop longtemps au sol, ou si, en volant, ils sont attirés par quelque graines, s’ils tiennent leurs ailes pliées, ou se jettent à nouveau au sol, ils ont bien reçu le mouvement du vent, mais en vain, puisqu’ils n’en ont pas profité.
Théotime, les inspirations nous préviennent, elles se font sentir avant même que nous y ayons songé, mais ensuite c’est à nous d’y consentir, à nous d’y coopérer, à nous de suivre leurs attraits, à nous de nous y opposer, ou de les repousser.
Les inspirations se font sentir ” en nous, sans nous” ; elles ne sauraient, sans nous, nous contraindre à y consentir.
[1] Oiseaux qui ont besoin du vent pour s’envoler.
” Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. “
Marc 7, 1-23
Conseil à une religieuse de la Visitation d’Annecy 1611-1618
(Œuvres de St François de Sales XXVI, 299)
Demandez conseil à Notre Seigneur de ce que vous devrez dire, avant de parler, et à votre cœur aussi, afin de ne rien dire qui offense Dieu ni les créatures. Tâchez de parler utilement, posément et humblement à chacun, spécialement aux sœurs, comme si elles étaient toutes vos supérieures. Il faut se rendre gracieuse et affable à chacune, et satisfaire aussi les laïcs le plus doucement et brièvement possible ; sinon, écoutez-les avec patience et cordialité, les détournant de leurs propos inutiles le plus doucement possible.
Et si vous craignez de ne pas faire ce que vous leur dites, pensez que vous leur parlez comme messagère de Dieu ; et si vos paroles vous entraînent vers l’orgueil, rappelez-vous que ce que vous dites n’est pas de vous, mais de Dieu, et restez humble.
Quand vous aurez fait quelque bien ou résisté à des tentations, dites toujours : j’ai fait cela par la grâce de Dieu. Ou si l’on vous donne un ordre, répondez que vous le ferez avec la grâce de Dieu, ou bien s’il plaît à Dieu. Il faut toujours dire ainsi, car nous ne pouvons ni faire le bien, ni résister au mal sans la grâce de Dieu. Quand vous enverrez ou recevrez des messages de quelqu’un, il faut parler de Notre Seigneur, et dire à ceux qui vous les font : je vous prie de remercier N… de ma part, du souvenir qu’il a de moi. Assurez-le que je prierai Notre Seigneur pour lui, afin qu’il le comble toujours de ses saintes grâces.
On vous parlera autant que vous en aurez besoin, et qu’il plaira à Dieu de nous inspirer. La perfection ne consiste pas à parler, mais à faire. Nous avons un esprit comme ces arbres qui ont tant de branches qui les empêchent de croître : tant de menus désirs empêchent de croître le plus grand désir, qui est de plaire à Dieu.
Eliminez ces paroles intérieures : si on me dit ceci, je répondrai cela ; car cela ne fait qu’aigrir le cœur et ôter de la douceur.
“Tu as les paroles de la vie éternelle.”
Jean 6, 60-69
Sermon du 30 septembre 1618 (Œuvres de St François de Sales IX 193)
A un docteur de la loi qui lui demandait quel était le plus grand commandement, le Seigneur répondit : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu d’un amour de dilection, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta pensée, de toutes tes forces, et enfin de tout ce que tu as et de tout ce que tu es.”
Premièrement, je m’arrête sur cette parole : Tu aimeras Dieu d’un amour de dilection, c’est-à-dire d’un amour d’élection. Il faut considérer toutes ces paroles l’une après l’autre parce qu’elles méritent d’être pesées, à cause de l’immense désir que notre Seigneur témoigne quand il veut que nous l’aimions de manière unique et parfaite, autant que nous puissions le faire en cette vie. Dieu veut être aimé d’un amour d’élection. Il ne se contente pas d’être aimé d’un amour commun, ainsi que nous faisons avec nos semblables, mais d’un amour d’élection, choisi et élu entre tous les autres, de sorte que tous les amours que nous avons pour les créatures ne soient que des images en comparaison de celui-ci. Mon Dieu, est-il bien raisonnable que cet amour domine et surpasse tous les autres, qu’il règne et commande et que tout lui soit soumis ? Aimer le Seigneur d’un amour d’élection, c’est le choisir entre mille, comme l’Epouse du Cantique des Cantiques : “Mon Bien Aimé est beau à merveille, toutes sortes de perfections sont en lui, je l’ai choisi entre mille, c’est-à-dire parmi une infinité …”
Or, quand vient le moment d’élire un objet pour notre amour, nous aurions grand tort de ne pas le chercher parmi tous les sujets qui sont aimables, afin de choisir le meilleur. Mais dites-moi, peut-on rencontrer un objet plus excellent que la Divinité même ? Mise à part son incomparable beauté, considérons son indicible bonté qui nous a, par tant et tant de façons, témoigné qu’elle nous aime et désire infiniment que nous l’aimions. Qu’est-ce qui peut davantage émouvoir notre volonté d’aimer, que de se voir si parfaitement aimé ? Mais de qui ? De Dieu même. Ô que ce commandement d’aimer Dieu est aimable !
“Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.”
Jean 6, 51-58
Sur l’oraison du « Notre Père ». Opuscules 6ème série (Œuvres de St François de Sales, XXVI, 409)
Oui, Père, les enfants ont besoin de pain ; ne nous le refusez pas, de peur que nous ne mourions ! Donnez-nous, ô Père, notre Pain quotidien, votre Fils unique Jésus-Christ, dans le sacrement de l’Eucharistie, afin que par ce Pain nous soyons nourris dans la vie spirituelle, nous grandissions dans la vertu et nous soyons tellement fortifiés, que nous puissions faire le voyage en cette vallée de larmes, jusqu’à la montagne de Dieu. Père saint, ce Pain est celui que votre Fils nous a apporté, ce sont les choses merveilleuses qu’il a faites, prêchées, endurées.
O Père saint, faites, que pendant la durée de ce pèlerinage sur terre, cette manne céleste ne vienne jamais à nous manquer et que nous goûtions son immense suavité.
Les yeux de vos enfants vous regardent, ô Père, et demandent ce Pain de vie, pour mener une vie céleste. Moi donc, Père, l’un de vos enfants, bien qu’indigne, grand par les années, mais petit en mérites, affamé et indigent, je vous demande le pain. Et parce qu’en moi se trouvent deux substances, l’une corporelle, l’autre spirituelle, pour toutes deux je vous demande du pain. Pour le corps, qui est terre, je vous demande le pain de la terre ; pour l’âme, qui est esprit, je vous demande le Pain céleste, le Pain des Anges…
Me voici bien affamé, ô notre Père ; écoutez cet appel que je vous adresse : donnez-nous du pain ! Daignez donc, Père saint, ouvrir les entrailles de votre miséricorde, et puisque vous le pouvez, donnez à votre enfant le pain de votre grâce et le Pain quotidien de l’Eucharistie.
Donnez-nous aussi, ô Père, le pain de votre très douce parole ; partagez-le-nous, faites qu’il fructifie en nos âmes, comme ce bon grain qui tomba dans la bonne terre et qui rapporta cent pour un.
“Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel.”
Jean 6, 41-51
Sermon du 24 décembre 1613 (Oeuvre de Saint François de Sales, IX 7)
Dans le désert, la nuit, Dieu faisait pleuvoir la manne pour nourrir les enfants d’Israël… La manne avait la saveur de la farine, du miel et de l’huile.
Ce goût de la fleur de farine représente la très sainte humanité de Notre Seigneur, son corps adorable, qui, après avoir été moulu sur l’arbre de la Croix, a été transformé en un pain très précieux qui nous nourrit pour la vie éternelle.
Ô pain savoureux, quiconque vous mangera dignement vivra éternellement et ne pourra jamais mourir de la mort éternelle. Quelle délectation, je vous prie, de se nourrir du pain descendu du ciel, du pain des Anges ! Toutefois, ce qui le rend plus délectable est l’amour avec lequel il nous est donné par Celui qui est à la fois le don et le donateur.
Ô admirable invention de la providence de Dieu ! Cette divine Majesté, voyant que la Divinité n’était pas connue des hommes, voulut s’incarner et se joindre à la nature humaine afin que, sous ce manteau d’humanité, la Divinité puisse être reconnue. Je n’ignore pas que l’on a su, de tout temps, qu’il y avait une divinité ; tous les anciens philosophes l’ont confessé, mais cette connaissance était si obscure qu’elle ne méritait pas d’être appelée par ce nom. De plus, s’ils ont connu Dieu, ils ne l’ont pas reconnu, ce qui toutefois était le plus important. Si Notre Seigneur ne s’était pas incarné, il serait toujours demeuré caché dans le sein de son Père éternel et serait resté inconnu des hommes.
Certes, en cette incarnation il a fait voir ce qui n’aurait jamais pu être compris de l’esprit humain, c’est-à-dire que Dieu fut homme et que l’homme fut Dieu : l’Immortel mortel, sujet au chaud, au froid, à la faim, à la soif ; l’Infini fini, l’Eternel temporel ; en somme l’homme divinisé et Dieu humanisé, de telle sorte que Dieu, sans cesser d’être Dieu, soit homme, et l’homme, sans cesser d’être homme, soit Dieu.
“L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé.”
Jean 6, 24-35
Traité de l’Amour de Dieu, Livre 2 chap. 14 (IV133)
Quand Dieu nous donne la foi, il vient dans notre âme et parle à notre esprit. Mais il ne le fait pas avec des discours, des raisonnements. Il le fait par des inspirations. Il propose à l’intelligence, d’une manière douce et respectueuse, les choses qu’il faut croire. La volonté, les trouvant à son goût, incite l’intelligence à consentir et à acquiescer à leur vérité, sans aucune réserve. Voici ce qui est étonnant…
Mon Dieu, Théotime, saurais-je le dire comme il faut ? La foi est la grande amie de notre esprit. Aux sciences de l’homme qui se vantent d’être plus évidentes et claires, elle parle comme l’Epouse du Cantique parlait aux autres bergères. Je suis brune, et pourtant belle. Ô raisonnements humains ! Ô sciences acquises ! Je suis brune, car je suis obscure. Mes vérités révélées n’ont aucune évidence : c’est pourquoi elles me font paraître noire, presque méconnaissable. Mais en moi-même je suis belle … Si le monde pouvait me voir telle que je suis, il me trouverait belle. Faut-il que je sois aimable, pour que les sombres ténèbres et les épais brouillards où je ne suis qu’entrevue n’empêchent pas l’esprit de me recevoir avec tant de plaisir. L’esprit m’estimant plus que tout, écartant les autres sciences, dégage la place, et me reçoit comme sa reine, sur le trône le plus élevé de son palais. De là, je donne la loi à toutes les autres sciences et je soumets toute opinion et tous raisonnements humains…
Vive la foi ! Certes la théologie, les miracles, les bienfaits de la foi chrétienne la rendent hautement crédible, mais l’adhésion à la foi chrétienne, reconnue comme vraie, fait aimer la beauté de sa vérité et la vérité de sa beauté, grâce au sentiment de joie et de contentement où elle plonge la volonté, et à la certitude qu’elle donne à l’intelligence…
…La foi suppose donc que notre cœur commence par éprouver un sentiment d’amour à l’égard des choses de Dieu.
“Une grande foule le suivait,
parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait.”
Jean 6, 1-15
Sermon du 6 mars 1622 (Oeuvres de St François de Sales, X 299)
Considérez la bonté de ce peuple qui accompagnait Notre Seigneur sans aucun soin ni pensée pour eux-mêmes, laissant leurs maisons et tout ce qu’ils avaient, attirés par l’affection et le contentement qu’ils prenaient d’entendre sa parole. Considérez encore, ces gens qui suivent notre cher Maître jusque sur la montagne : avec quelle paix et quelle tranquillité d’esprit ils vont derrière lui !
Ils souffrent de la faim et ils n’y pensent pas, tant ils sont attentifs à l’unique désir qu’ils ont d’accompagner Notre Seigneur partout où il ira. Ceux qui suivent ce divin Sauveur doivent les imiter en cela, éliminant tant de soucis, tant d’anxiétés en ce qui concerne leur avancement. Prenez patience, peut-on dire à ces bonnes gens, quittez un peu le soin de vous-mêmes et n’ayez pas peur que rien ne vous manque ; car si vous vous confiez en Dieu, il aura soin de vous. Jamais nul n’a été trompé en se confiant en Lui et en sa providence. Dieu fera plutôt des miracles que de laisser sans secours, tant spirituel que temporel, ceux qui se confient pleinement en sa divine providence.
Quand les appuis humains nous manquent, tout ne nous manque pas, car Dieu supplée et prend soin de nous par sa providence. Ces pauvres gens qui suivent aujourd’hui Notre Seigneur furent secourus par Lui quand ils furent tout transis de faim. Il en eut une pitié extrême parce que, par amour, ils s’étaient oubliés eux-mêmes, de sorte qu’ils ne portaient avec eux aucune provision, excepté l’enfant qui avait les cinq pains d’orge et les deux poissons. Il semble que le Sauveur, tout amoureux des cœurs de ces bonnes gens, qui étaient environ cinq mille, se disait en lui-même: “Vous n’avez nul soin de vous, mais je le prendrai moi-même.”
“En débarquant, Jésus voit une grande foule. Il est saisi de compassion”
Marc 6, 30-34
Traité de l’Amour de Dieu, L. II chap. 4 (Œuvres de St François de Sales, IV, 101)
La Providence décida de créer, en faveur du Sauveur, tout ce qu’il y a dans le monde, les réalités naturelles aussi bien que surnaturelles. Ainsi les anges et les hommes pourraient, en le servant, participer à sa gloire. A la suite de quoi, Dieu les dota du libre arbitre, c’est-à-dire de la capacité de choisir librement entre le bien et le mal. Toutefois, pour témoigner que la divine Bonté les destinait au bien et à la gloire, elle les créa tous dans la justice originelle, qui est un amour de douce persuasion, qui dispose, oriente et achemine au bonheur éternel.
Il a bien prévu que le premier homme ferait un mauvais usage de sa liberté, et qu’en perdant la grâce, il perdrait la gloire. Mais il ne voulut pas traiter l’homme aussi rigoureusement qu’il avait traité les anges. Car c’était la nature humaine qu’il avait résolu de prendre pour l’unir à sa Divinité. Il vit bien sa faiblesse : un souffle qui s’en va et ne revient pas. Il tint compte de la ruse de Satan qui avait surpris l’homme, et de la puissance de la tentation ; il vit que toute la race des hommes périssait par la faute d’un seul. Aussi pour toutes ses raisons, il eut pitié de notre nature et se résolut de la sauver.
Mais, afin qu’à la douceur de sa miséricorde s’adjoigne la beauté de sa justice, il décida de sauver l’homme par une complète libération. Et cela seul son Fils pouvait l’accomplir. Il décréta que celui-ci rachèterait les hommes, non par un seul de ses actes d’amour qui aurait était largement suffisant pour sauver mille millions de mondes, mais par les innombrables actes d’amour qu’il ferait en toutes les souffrances qu’il subirait jusqu’à la mort et la mort de la croix. Voilà à quoi il destinait le Fils, le rendant ainsi compagnon de nos souffrances, afin que nous devenions compagnons de sa gloire. Par cette rédemption abondante, surabondante, magnifique, excessive, il nous montrait les richesses de sa bonté.
Cette rédemption nous a acquis, et comme reconquis, tous les moyens nécessaires pour parvenir à la gloire, de sorte que personne ne pourra jamais s’affliger de ce que la miséricorde ait manqué à quelqu’un.
“Jésus commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route…”
Marc 6, 7-13
Sermon 24 fév. 1622 (X, 257)
Parmi les disciples, Judas était grandement avare, intéressé d’amasser de l’argent, et pas seulement ce qui était requis pour l’entretien de Notre Seigneur et de ses Apôtres, car il leur fallait peu de choses ; d’autant que le Sauveur établissait son apostolat sur la pauvreté, et qu’il envoyait ses disciples après lui prêcher son Evangile, avec pour commandement de ne porter ni bourse, ni besace, et de ne rien prévoir pour le lendemain, mais de se confier en leur Père céleste qui les nourrirait par sa Providence.
Cependant, comme ils ne devaient être envoyés qu’après avoir reçu le Saint Esprit et qu’ils vivaient tous ensemble avec Notre Seigneur, il leur permettait bien d’avoir quelques petites choses à leur usage pour subvenir aux nécessités quotidiennes, mais non point de les posséder en particulier ; aussi voulait-il que l’un d’eux porte la bourse et prenne soin de la dépense… Le Sauveur donc, remit à Judas la charge des choses temporelles; et il n’y aurait eu aucun mal de porter la bourse et de manier l’argent s’il l’avait fait comme il le devait…
Il y a une grande différence entre boire du vin et s’enivrer, entre user des richesses et les adorer. Celui qui boit du vin selon sa nécessité ne fait point de mal, mais celui qui en prend avec un tel excès qu’il vient à s’enivrer, offense Dieu, perd le jugement, et noie sa raison dans le vin qu’il boit… Il y a aussi une différence entre user des richesses et les adorer : il faut en user selon son état et condition, car c’est une chose permise quand on le fait comme il faut ; mais de s’en faire des idoles est chose condamnable.
En un mot, il y a une grande différence entre voir et regarder les choses de ce monde, ou vouloir en jouir comme si notre bonheur résidait en elles.
” Un prophète n’est méprisé que dans son pays,
sa famille et sa propre maison”
Marc 6, 1-6
Sermon 27 février 1617 (Oeuvres de St François de Sales VIII, 311)
Un jour que le Christ était à Nazareth, il entra dans la synagogue et, après la lecture du livre d’Isaïe, il instruisit le peuple, de sorte que tous étaient en admiration et lui rendaient témoignage ; inutilement toutefois, car ils disaient : N’est-ce pas là le fils du charpentier ? D’où lui vient cette sagesse ?
Lui, qui les voyait s’entretenir ensemble, savait ce qu’ils disaient et leur répondit : « Vous m’appliquerez sans doute le proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même…”. Saint Marc conclut : Il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité.
Il est dans l’Ecriture, deux vérités que Dieu veut surtout nous inculquer et qu’il nous enseigna toujours dans l’Eglise : la première est que si nous nous perdons, c’est par notre faute ; la seconde, que nous ne devons notre salut qu’à Dieu…
Dieu donc, ne repousse personne s’il n’est pas repoussé, il n’abandonne personne, s’il n’en est pas abandonné, il ne rejette personne, s’il n’en est pas rejeté… Or, le Seigneur s’étonnait, ou plutôt il nous montrait une chose étonnante, à savoir qu’à la vue de tant de prodiges, les hommes qui lui devaient la plus grande reconnaissance, auxquels il avait porté le plus de secours, ne se convertissaient pas.
Saint Marc dit cependant : Il ne pouvait faire aucun miracle à cause de leur incrédulité, c’est-à-dire qu’il ne le pouvait pas parce que leur incrédulité y faisait obstacle.
Dieu laisse, en effet, à l’homme sa liberté: celui qui vous a créé sans vous, ne vous sauvera pas sans vous ; il vous a fait sans que vous le sachiez, il ne vous sauvera pas sans que vous le vouliez.
” Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée.” Marc 5, 21-43
Sermon 3 mars 1622 (Œuvres de St François de Sales, X,289)
La belle-mère de St Pierre, malade… ne s’empresse aucunement pour toucher ses vêtements, ni la frange de sa robe, comme ont fait d’autres, ainsi que nous le voyons dans l’Evangile. La plupart sont allés au Sauveur pour être guéris des maladies qu’ils avaient au corps, et non point pour celles qu’ils avaient à l’âme ; il n’y a que la Madeleine, cette grande sainte, qui soit venue à lui pour faire traiter son cœur et recevoir la guérison de ses infirmités spirituelles, ce qu’elle fit d’une façon admirable lorsqu’elle était encore dans la fleur de l’âge.
O Dieu, combien y eut-il de malades dans Capharnaüm qui, sachant que Notre Seigneur, souverain médecin, était là, témoignèrent un très grand empressement pour faire connaître leur état à Celui qu’ils savaient pouvoir les guérir. Certes, le centurion fut vraiment bien louable pour le soin qu’il prit d’envoyer au Sauveur des notables de la ville afin de l’avertir de la maladie de son serviteur, comme aussi pour sa foi par laquelle il confessa qu’il ne fallait qu’une parole pour cette guérison, mais il témoigna aussi un grand empressement pour le rétablissement de son malade. Que ne fit pas la Cananéenne, combien elle cria après notre cher Maître et combien elle persévéra à l’importuner pour obtenir ce qu’elle demandait ? De même elle cria après les Apôtres pour qu’ils interviennent pour elle, ou que du moins, en voyant son insistance, ils soient tentés de le faire? En somme, tous témoignèrent beaucoup d’inquiétude et de désir de leur guérison.
Et aujourd’hui que ne feraient pas nos malades s’ils savaient qu’il y eût un homme de grande expérience, pour le prier de les visiter et de remédier à leurs maux ? Avec quelle impatience n’attendraient-ils pas sa venue ?
0 certes, cette inquiétude ne procède que d’un amour déréglé de soi-même, maladie à laquelle sont sujets non seulement les gens du monde, mais aussi ceux qui vivent en religion.
” Pourquoi êtes-vous si craintifs ?”
Mc 4, 35-41
Sermon 21 avril 1620 (IX, 301)
Si nous voulons avoir la paix en nous-mêmes, il ne faut avoir qu’une seule volonté, tel saint Paul qui ne prétendait savoir et prêcher qu’une seule chose : Notre Seigneur Jésus Christ crucifié. C’était là toute sa doctrine, en cela consistait sa science ; et la mort de Notre Seigneur occupait toute sa mémoire, et dans ce seul amour du Crucifié, il avait concentré tous ses désirs et toutes ses volontés. Puissions-nous faire de même, et nous posséderons comme lui la vraie paix : toutes nos facultés étant ainsi tournées vers Lui, notre Sauveur, ne manquera pas d’être en nous et de nous apporter cette paix qu’il donne à ses Apôtres bien aimés.
Mais mon Dieu, quelle est cette paix ? Comme elle est différente de celle que le monde donne ! Les mondains se vantent souvent d’avoir la paix, mais c’est une paix fausse, qui est suivie souvent d’un grand trouble.
Imaginez-vous de voir cette barque qui vogue sur la mer, où Notre Seigneur dormait tout doucement avec ses Apôtres. Pendant son sommeil, le vent se lève, la tourmente grossit, les vagues deviennent si impétueuses qu’elles semblent à tous moments faire périr le navire : les Apôtres, bien émus du danger, courent de proue en poupe et de poupe en proue ; ils réveillent Notre Seigneur, en disant : Maître, nous périssons, si tu ne nous secoures ! 0 pauvres gens, de quoi vous troublez-vous ? N’avez-vous pas avec vous le Sauveur qui est la vraie paix ? Alors Jésus leur dit : Que craignez-vous, gens de petite foi ? N’ayez point peur. Aussitôt il commanda à la mer de se taire, et soudain le calme fut. Le Maître demeura dans la paix avec laquelle il dormait, qui procède de la pureté de son âme.
St Pierre fit de même après Lui, car il dormait paisiblement lorsque l’Ange vint le tirer de sa prison, la veille du jour où l’on devait le faire mourir, tant les vrais amis de Dieu sont tranquilles et possèdent la paix que Notre Seigneur leur a donnée.
“Nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment”
Mc 4, 26-34
Entretiens Spirituels, 7ème entretien du 13 janvier 1620 (Œuvres de St François de Sales, VI 106-108)
Trop d’âmes prétendant à la perfection, s’imaginent que tout consiste à faire une multitude de désirs, et, comme la poule, quand elle a des petits, s’empresse grandement et ne cesse de glousser après ses petits, de même ces âmes s’empressent après les désirs qu’elles ont de se perfectionner, et ne trouvent jamais assez de personnes pour en parler et demander des moyens nouveaux. Bref, elles s’amusent tant à parler de la perfection qu’elles prétendent acquérir, qu’elles oublient d’en pratiquer le principal moyen, qui est celui de se tenir tranquilles et de jeter toute leur confiance en Celui qui seul peut donner la croissance à ce qu’elles ont ensemencé et planté. Tout notre bien dépend de la grâce de Dieu, en laquelle nous devons jeter toute notre confiance ; et cependant il semble, par l’empressement qu’elles ont à beaucoup faire, qu’elles se confient en leur travail et en la multiplicité des exercices qu’elles embrassent, ne leur semblant jamais de pouvoir assez faire. Cela est bon, pourvu que ce soit accompagné de paix et d’un soin amoureux de bien faire ce qu’elles font, et de dépendre toujours de la grâce de Dieu et non point de leurs exercices ; je veux dire, de n’attendre aucun fruit de leur travail sans la grâce de Dieu.
Tu peux bien arroser, mais pourtant tout cela ne te servirait à rien si Dieu ne bénissait ton travail et ne te donnait, par sa pure grâce et non par tes sueurs, une bonne récolte : Il est vrai, c’est à nous de bien cultiver, mais c’est à Dieu de faire que notre travail soit suivi d’un bon succès.
Ne nous empressons point en notre travail, car pour bien le faire il faut nous appliquer soigneusement, mais tranquillement et paisiblement, sans mettre notre confiance en notre peine, mais en Dieu et en sa grâce. Une bonne œuvre bien faite avec tranquillité d’esprit vaut beaucoup mieux que plusieurs faites avec empressement.
” Prenez ceci est mon corps.”
Marc 14,22-26
Des opuscules, janvier – avril 1597 (Œuvres de Saint François de Sales XXIII 24-25)
Tu demandes comment le pain sera fait corps de Jésus-Christ ? Et je réponds : le Saint-Esprit opère ces choses par-dessus toute parole et intelligence.
Mais y a-t-il plus parfaite communion des saints que celle-ci, en laquelle nous sommes tous un pain et un corps, d’autant que nous sommes participants d’un même pain qui est descendu du ciel, vivant et vivifiant ?
Et comment mangerions-nous tous d’un même pain, si ce pain n’était le corps de Jésus-Christ ?
Et si nous ne mangions qu’une même viande spirituelle par la foi, quelle plus grande communion pourrait avoir le chrétien avec les autres chrétiens ?
… Et de fait, O Sauveur, quelle autre nourriture peut donner la vie éternelle, si ce n’est votre corps ?
Il faut un pain vivant pour donner la vie… Un pain descendu du ciel pour donner une vie céleste, un pain qui soit vous-même, mon Seigneur et mon Dieu, pour donner la vie immortelle, éternelle et perdurable.
Car, Ô Seigneur admirable, si un peu de levain fait lever toute une grande masse de pâte, si une bluette de feu suffit pour embraser une maison, si un grain mis en terre fertilise la terre et en reproduit tant d’autres, combien dois-je espérer que votre béni Corps entrant dans le mien, la saison étant venue, il le relèvera de sa corruption, l’enflammera de sa gloire et le rendra immortel, serein, subtil, resplendissant et assorti de toutes les qualités glorieuses qui se peuvent espérer !
“Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. “
(Mt.28, 16-20)
Sermon 21 mai 1595 (Œuvres de St François de Sales, VII 255)
Aujourd’hui l’Eglise célèbre une grande solennité à la gloire de la Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, afin de l’honorer comme nous le devons. Nous lui rendons gloire si nous croyons, si nous espérons en la Trinité, si nous prions les trois Personnes de demeurer avec nous, si nous leur lavons les pieds, si nous les invitons sous l’arbre. Mais pour cela il nous faut faire comme Abraham, qui leva les yeux, et c’est pour ça qu’il eût cet honneur. Aussi levons les yeux vers cette lumière éternelle, afin qu’elle daigne nous illuminer de son Esprit, et qu’en sa clarté nous puissions voir ce saint mystère, et en connaître ce qu’il lui plaira de nous faire savoir.
Quelle gloire au Père d’avoir un tel Fils ! Quelle gloire au Fils d’avoir un tel Père ! Le Fils a la même substance que le Père ; le Père lui communique toutes ses perfections. Quelle gloire a un père d’avoir un fils qui lui ressemble parfaitement; mais s’il lui ressemblait tellement que ce fut un autre lui-même, ah, quelle consolation ! J’ai vu des pères qui avaient quelques vertus … combien étaient-ils consolés d’avoir des enfants vertueux… C’est cette gloire qui mérite d’être célébrée en cette fête.
Mais de plus, le Père voyant son Fils, et le Fils voyant son Père, quelle exubérance de joie ! Le Père et le Fils voient qu’ils sont réciproquement dignes d’un amour infini ; ils voient que leur volonté est ajustée à leur amour, ils s’aiment l’un l’autre autant qu’ils le méritent, ils s’aiment souverainement, infiniment et divinement. Et cet amour suprême qui les lie ainsi l’un à l’autre, procédant du regard qu’ils ont l’un envers l’autre, est une troisième Personne divine, égale à eux, consubstantielle à eux, infinie, éternelle et indépendante comme eux, et c’est le Saint Esprit, l’amour et l’unité du Père et du Fils, et le fruit de leur mutuelle complaisance et de leur souffle.
Et ce Saint Esprit signifie une respiration d’amour réciproque, pour dire que le Père et le Fils se regardant et s’aimant mutuellement, produisent cette troisième Personne par ce regard et cet amour réciproque. Chantons donc : Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit !