« Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre… » Mt 6,16

D’un sermon de Saint François de Sales pour le mercredi des Cendres, 9 février 1622. Œuvres X, 181.

Ces quatre premiers jours de la sainte quarantaine sont comme la tête et le chef, la préface ou préparation que nous devons faire pour bien passer le Carême et nous disposer à bien jeûner. C’est pourquoi j’ai pensé vous par1er en cette exhortation des conditions qui rendent le jeûne bon et méritoire, mais brièvement et le plus brièvement qu’il me sera possible.

Pour traiter du jeûne et de ce qu’il est requis de faire pour bien jeûner, il faut savoir avant toute chose que de soi, le jeûne n’est pas une vertu, car les bons et les mauvais, les chrétiens et les païens l’observent. Les anciens philosophes le gardaient et le recommandaient ; ce n’est pas qu’ils fussent vertueux pour cela, ni qu’ils pratiquassent une vertu en jeûnant, ô non, puisque le jeûne n’est vertu sinon en tant qu’il est accompagné des conditions qui le rendent agréable à Dieu ; de là vient qu’il profite aux uns et non aux autres parce qu’il n’est pas fait également de tous.

Je parle à […] des personnes […] qui savent qu’il ne suffit pas de jeûner extérieurement si l’on ne jeûne intérieurement et si l’on n’accompagne le jeûne du corps de celui de l’esprit.

Le jeûne a été institué de Notre Seigneur pour remède à notre bouche, à notre gourmandise, car parce que le péché est entré au monde par la bouche, il faut aussi que ce soit la bouche qui fasse pénitence. Mais il est aussi requis que notre jeûne soit général et entier, c’est-à-dire que nous fassions jeûner tous les membres de notre corps. Mais aussi les puissances et passions de l’âme, oui, même l’entendement la mémoire et la volonté.

On doit aussi retrancher les discours inutiles de l’entendement, les vaines représentations de notre mémoire, les désirs superflus de notre volonté. Et par ce moyen, nous accompagnerons le jeûne extérieur de l’intérieur.

« Pour toi quand tu jeûnes, parfume-toi… » Mt 6,16

D’un sermon de Saint François de Sales pour le mercredi des Cendres, 9 février 1622. Œuvres X, 185.

La seconde condition est de ne point jeûner pour la vanité mais par humilité , car si notre jeûne n’est fait avec humilité il ne sera point agréable à Dieu.

Préparez-vous à jeûner avec charité, car si votre jeûne est fait sans icelle, il sera vain et inutile, d’autant que le jeûne est comme toutes les autres bonnes œuvres, s’il n’est pas fait en charité et par charité, n’est point agréé de Dieu. Quand vous vous disciplineriez, quand vous feriez de grandes prières et oraisons, si vous n’avez la charité, cela n’est rien ; quand même vous opéreriez des miracles, si vous n’avez la charité ils ne vous profiteront pas. Car toutes les œuvres, petites ou grandes, pour bonnes qu’elles soient en elles-mêmes, ne valent et ne nous profitent point si elles ne sont faites en la charité et par la charité. J’en dis maintenant de même: si votre jeûne est sans humilité il ne vaut rien et ne peut être agréable à Dieu. Car si vous n’ avez pas l’humilité, vous  n’avez pas la charité, et si vous êtes sans charité, vous êtes aussi sans humilité, d’autant qu’il est presque impossible d’avoir la charité sans être humble et d’être humble sans avoir la charité, ces deux vertus ayant une telle sympathie et convenance par ensemble qu’elles ne peuvent jamais aller l’une sans l’autre.

Mais qu’est-ce que jeûner par humilité ? C’est ne point jeûner par vanité! Or, comment est-ce que l’on jeûne par vanité ?

C’est jeûner comme on veut et non point comme les autres veulent; jeûner en la façon qui nous plait et non point comme on nous l’ordonne ou conseille Vous en trouverez qui veulent jeûner plus qu’il ne faut et d’autres qui ne veulent pas jeûner autant qu’il faut. Qui fait cela, sinon la vanité et la propre volonté ? car tout ce qui vient de nous nous semble être le meilleur.

Mettons chacun la main à notre conscience et nous trouverons que tout ce qui vient de nous, de notre propre sens, choix et élection, nous l’estimons et aimons bien mieux que ce qui vient d’autrui. Nous y avons une certaine complaisance qui nous facilite les choses les plus ardues et difficiles, et cette complaisance est presque toujours vanité.

« Ton Père qui voit dans le secret te le rendra »
Mt 6,18

D’un sermon de Saint François de Sales pour le mercredi des Cendres, 9 février 1622. Œuvres X, 188.

Ne faites point, dit Notre Seigneur, comme les hypocrites, lesquels quand ils jeûnent sont tristes et mélancoliques afin d’être loués des hommes et estimés grands jeûneurs; mais que votre jeûne se fasse en secret.

Quand Notre- Seigneur dit : Faites votre jeûne en secret, Il veut entendre; ne le faites pas pour être  vus et estimés des créatures, ne faites point vos œuvres  pour les yeux des hommes.

Et pour cela, suivez en tout la communauté. Que les forts et robustes mangent ce qui leur est donné, gardent les jeûnes et austérités qui sont marqués et qu’ ils se contentent de cela; que les faibles et infirmes reçoivent ce qui leur est présenté pour leur infirmité, sans vouloir faire ce que font tes robustes, et que les uns et les autres ne s’amusent point à regarder ce que celui-ci mange et ce que celui-ci ne mange pas. Mais que chacun demeure satisfait de ce qu’il a et de ce qui lui est donné; par ce moyen vous éviterez la vanité et particularité.

Suivez la voie commune, ne paraissez point plus vertueux que les autres, contentez-vous de faire ce qu’ils font; accomplissez vos bonnes œuvres en secret et non pour les yeux des hommes. Ne faites pas comme l’araignée  qui représente les orgueilleux, mais comme l’avette qui est le symbole de l’âme humble. L’araignée ourdit sa toile à la vue de tout le monde, et jamais en secret. Elle va filant par les vergers, d’arbre en arbre, dans les maisons, aux fenêtres, aux planchers, en somme sous les yeux de tous : elle ressemble en cela aux vains et hypocrites qui font toutes choses pour être vus et admirés des hommes; aussi leurs œuvres ne sont-elles que des toiles d’ araignées, propres à être jetées dans le feu.

Mais les avettes sont plus sages et prudentes, car elles ménagent leur miel dans la ruche où personne ne les peut voir, et outre cela, elles se bâtissent de petites cellules où elles continuent leur travail en secret ; ce qui nous représente fort bien l’âme humble, laquelle est toujours retirée en soi-même, sans chercher aucune gloire Ili louange en ses actions, mais elle tient son intention cachée, se contentant que Dieu la voit et sache ce qu’elle fait.

« Jésus fut conduit au désert par l’Esprit et jeûna… »
Mt 6,16

D’un sermon de Saint François de Sales pour le mercredi des Cendres, 9 février 1622. Œuvres X, 198.

C’est ce que j’avais à vous dire touchant le jeûne et ce qu’il faut observer pour bien jeûner.

La première chose est que votre jeûne soit entier et général, c’est à savoir que vous fassiez jeûner tous les membres du corps et les puissances de l’âme : portant la vue basse, ou du moins plus basse qu’à l’ordinaire ; gardant plus de silence, ou du moins le gardant plus ponctuellement que de coutume ; mortifiant l’ouïe et la langue pour n’en­tendre ni dire rien de vain et inutile ; l’entendement, pour ne considérer que des sujets saints et pieux ; la mémoire, en la remplissant du souvenir [de ce que Notre Seigneur a souffert pour vous] ; en fin tenant en bride votre volonté, et votre esprit aux pieds du Crucifix.
Si vous faites cela votre jeûne sera entier, intérieur et extérieur, car vous mortifierez le corps et l’esprit.

La seconde condition est que vous n’accomplissiez pas votre jeûne ni vos œuvres pour les yeux des hommes
Que d’hypocrites font les mines mélancoliques et n’esti­ment saints que ceux qui sont maigres. Grande folie que celle-ci ! comme si la sainteté consistait en la maigreur. Certes, saint Thomas d’Aquin n’était point maigre mais bien gros ; et toutefois il était saint. De même plu­sieurs autres, qui n’étant pas maigres ne laissaient pas d’être grandement austères et excellents serviteurs de Dieu.

Mais le monde, qui ne regarde que l’extérieur, ne tient pour saints que ceux qui sont pâles et défaits. Voyez-vous un peu que c’est de l’esprit humain : il ne considère que l’apparence et, comme vain, fait toutes ses œuvres pour paraître devant les hommes. Or, dit Notre Seigneur, ne faites pas comme ceux-là, mais que votre jeûne se fasse en secret, pour les yeux de votre Père céleste, et il vous regardera et récompensera.

C’est ici la troisième condition requise pour bien jeûner, à savoir, de regarder Dieu et de faire tout pour lui plaire… que vous fassiez toutes vos actions, et par conséquent votre jeûne, pour plaire à Dieu seul, auquel soit honneur et gloire par tous les siècles des siècles. Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.

« L’Esprit pousse Jésus au désert, et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. » Marc 1, 12-15

Sermon de Saint François de Sales, 3 février 1622 (Oeuvres X,199)

Considérons un peu de quelles armes se servit Notre Seigneur pour rabrouer le diable qui le tentait  au désert. Pas d’autres, que celles dont parle le psalmiste dans le psaume que nous récitons le  dimanche soir à complies : “Je me tiens sous l’abri du Très-Haut et me repose à l’ombre du Puissant1, dans lequel nous apprenons une doctrine admirable. Le psalmiste dit ainsi, comme s’il s’adressait aux Chrétiens ou à quelqu’un en particulier : O que vous êtes heureux, vous qui êtes armés de la vérité de Dieu, car elle vous servira de bouclier contre vos ennemis, et fera que vous demeurerez victorieux. Ne craignez donc point, vous qui êtes armés de cette armure de vérité. Non, ni les craintes nocturnes, car vous n’y trébucherez point ; ni les flèches qui volent en plein jour, car elles ne sauraient vous atteindre ; ni les terreurs de la nuit, ni les fléaux à midi.

O que Notre Seigneur était bien armé de vérité, puisqu’il était la vérité même. Cette vérité dont parle le psalmiste n’est autre que la foi. Quiconque est armé de la foi ne doit rien craindre, et c’est l’unique arme nécessaire pour rabrouer et confondre notre ennemi ; car qui pourra nuire à celui qui dira : Je crois en Dieu qui est notre Père, et notre Père tout puissant ?

En disant ces paroles nous montrons que notre confiance n’est pas dans nos propres forces, mais en la vertu de notre Père avec qui nous entreprenons le combat et de qui nous espérons la victoire.

Non, n’allons point de nous-même au-devant de la tentation par présomption, mais repoussons-la quand Dieu permet qu’elle nous attaque et qu’elle vienne nous chercher où nous sommes.

Jésus surmonta son ennemi en se servant des paroles de la Sainte Ecriture pour toutes les tentations qu’il lui présenta. Jésus possédait la foi en son âme, dès l’instant qu’elle commença d’être. Il voulut s’en servir pour nous enseigner tout ce que nous avions à faire.

Ne recherchons point d’autres armes ni d’autres inventions pour refuser de consentir à la tentation, sinon de dire: « Je crois en Dieu, le Père tout puissant.»

 

“…ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.”  Marc 9, 2-10

Sermon de Saint François de Sales, 23 fév.1614 (IX,27)

L’Eglise au premier dimanche de Carême nous fait voir la tentation de Jésus Christ, au second, sa Transfiguration et la gloire de la Jérusalem céleste, et au troisième, la providence de Dieu envers ceux qui, ayant appris de Notre Seigneur à combattre vaillamment, l’ont fait si fidèlement qu’ils ont mérité la récompense qu’il leur montre après la bataille. Nous ferons aujourd’hui quelques petites considérations sur ce sujet.

L’âme de Notre Seigneur fut bienheureuse dès l’instant de sa conception ; elle ressemblait à l’échelle de Jacob, qui de l’un des bouts touchait le ciel et de l’autre la terre. Il en était de même de la sainte âme de notre Maître, car sa partie supérieure était appuyée dans le sein de son Père, et sa partie inférieure touchait la terre par le choix qu’il avait fait de rejoindre nos misères et nos peines.

Aujourd’hui, notre Seigneur veut faire voir un échantillon de sa gloire à ses trois Apôtres qui le voient la face plus reluisante que le soleil, et après entre Moïse et Elie … Les Apôtres étant relevés (car ils tombèrent la face contre terre en entendant la voix du Père éternel) ne virent plus que Jésus seul.

Ceci est le souverain degré de la perfection, de ne voir plus que Notre Seigneur en tout ce que nous faisons. Plusieurs s’empêcheront bien de regarder les hommes et les choses de ce monde, mais il en est extrêmement peu qui ne se regardent point eux-mêmes ; les plus spirituels recherchent et choisissent entre les exercices de dévotion ceux qui sont plus à leur goût et plus conformes à leurs inclinations.

Il ne faut cependant voir que Dieu, ne chercher plus que lui, et n’avoir aucune affection que pour lui, ainsi nous serons bienheureux. Les âmes qui sont parvenues à ce degré de perfection mettent un soin tout particulier à regarder et se tenir auprès de Notre Seigneur crucifié sur le Calvaire, parce qu’elles l’y trouvent plus seul qu’en nul autre lieu.

“L’amour de ta maison fera mon tourment”. Jean 2, 13-25

Traité de l’Amour de Dieu livre 10 chap.14 (Œuvres de Saint François de Sales, V, 215)

Mais en quoi donc consiste le zèle que nous devons avoir pour la divine Bonté ?

Théotime, il s’agit premièrement de fuir, empêcher, détester, rejeter, combattre et abattre, si l’on peut, tout ce qui est contraire à Dieu, à sa volonté, à sa gloire et à la sanctification de son nom.

J’ai haï l’injustice, dit David et je l’ai en horreur. Voyez, je vous prie Théotime, de quel zèle ce grand Roi est animé, et comment il met les passions de son âme au service d’une sainte jalousie : il ne hait pas simplement le péché, mais il le déteste, le combat et l’extermine…

Ainsi ce fut par le zèle qui dévorait son cœur que, à la vue des trafics qui profanaient le temple, notre Seigneur en chassa les marchands.

Cette jalousie de Dieu, Théotime, faisait mourir et se pâmer le saint Apôtre, comme il dit aux Corinthiens : Je meurs tous les jours pour votre gloire.

Comme le disaient les Anciens, voyez quel amour, quel soin et quelle jalousie une mère poule a pour ses poussins (car Notre Seigneur n’a pas estimé cette comparaison indigne de lui dans l’Evangile*). La poule est une poule, c’est-à-dire un animal sans courage ni générosité quelconque, tant qu’elle n’est pas mère ; mais quand elle l’est devenue, elle a un cœur de lion, toujours la tête levée, toujours aux aguets, regardant de toutes parts, pour peu qu’il y ait apparence de péril pour ses petits ; il n’y a pas d’ennemi aux yeux duquel elle ne se jette pour la défense de sa chère couvée, dont elle a un souci continuel et qui la fait toujours aller gloussant et plaignant ; et si un de ses poussins périt, quelle colère !

Nous voyons ce même amour, ce soin, cette même jalousie chez des pères et mères pour leurs enfants, des pasteurs pour leurs ouailles, des frères pour leurs frères.

“Ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé…” Jean 3,14-21

Sermon de Saint François de Sales, 25 mars 1622(Œuvres X,361)

Notre Seigneur voulait racheter tous ceux qui le confessent, ce qui est la signification du mot de juif que Pilate écrivit sur le titre de la croix.

C’est ce qui nous a été représenté dans l’Ancien Testament par le serpent d’airain que Moïse dressa sur la colonne pour protéger les Israélites des morsures des serpents. Vous connaissez, je pense, toute l’histoire et comment cela arriva : Dieu ayant retiré son peuple de la servitude d’Égypte pour l’introduire en terre promise sous la conduite de Moïse, il survint un étrange accident ; car de petits serpenteaux sortirent de terre dans le désert où étaient les pauvres Israélites, de sorte qu’il en fut tout rempli. Ces serpenteaux mordaient, non d’une morsure trop piquante, mais grandement dangereuse, car elle était si venimeuse qu’infailliblement tous seraient morts si Dieu, par sa bonté et sa providence infinie, n’y eut pourvu.

Moïse voyant ce pitoyable accident s’adressa à Dieu pour demander quelque remède à un tel malheur. Et le Seigneur lui commanda de faire un serpent d’airain et de le poser sur une haute colonne, avec la promesse que ceux qui seraient mordus guériraient en le regardant. Ce que Moïse exécuta immédiatement, enjoignant à ceux qui seraient mordus par les serpents de jeter les yeux sur celui qui était élevé sur cette colonne.

Ce faisant, ils étaient promptement guéris ; mais, ceux qui ne voulaient pas le regarder mouraient, car il n’y avait point d’autre moyen d’échapper à la mort que celui-là, qui était ordonné par Dieu lui-même. 0 que le Dieu d’Israël est bon de donner à Moïse un tel remède pour la guérison de son peuple !

Le Christ mourut et fut ce serpent posé sur la colonne de la croix pour être regardé de tous ceux qui seraient entachés du péché… Pour nous montrer combien il nous aimait, Il est mort de la mort de la croix … O Seigneur, disait St Augustin, est-il possible que l’homme sache que vous êtes mort pour lui, et qu’il ne vive pas pour Vous ?

 “…et moi quand j’aurai été élevé de terre j’attirerai à moi tous les hommes. ” Jn 12, 20-33

Des Controverses, de St François de Sales, Partie 1, Chap.2, article 3 (Œuvres I, 61)

N’est-ce pas la parole de notre Seigneur : “Si je suis un jour élevé de terre, j’attirerai à moi toutes choses !” N’a-t-il pas été élevé sur la Croix ? N’a-t-il pas souffert ? Et comment donc aurait-t-il abandonné l’Église qu’il avait attirée avec tant de peine ? Comment aurait-t-il lâché cette prise qui lui avait coûté si cher ?

Le prince du monde, le diable, avait-t-il été chassé avec la Croix pour trois ou quatre cents ans pour revenir en maître pendant mille ans ? Voulez-vous éliminer de cette sorte la force de la Croix ? Êtes-vous arbitres de bonne foi en voulant injustement partager Notre Seigneur, et mettre désormais un choix entre sa divine bonté et la malice diabolique ?

Ignorez-vous que notre Seigneur s’est acquis l’Eglise par son sang ? Et qui pourra la lui enlever ? Pensez-vous qu’il soit plus faible que son adversaire ? Ah, je vous prie, parlons avec respect de ce capitaine ; et qui donc ôtera d’entre ses mains son Eglise ? Pouvez-vous dire qu’il peut la garder mais qu’il ne le veut pas ? C’est alors sa bonté, sa vérité, sa providence que vous attaquez !

            La bonté de Dieu a donné des dons aux hommes, des apôtres, des prophètes, des pasteurs et docteurs, pour la perfection des saints…

L’édification du corps mystique de notre Seigneur, qui est l’Eglise, a-t-elle été parachevée ? Et si elle n’a pas été achevée, et de fait, elle ne l’est pas maintenant, pour quoi faites-vous ce tort à la bonté de Dieu en disant qu’il aurait enlevé aux hommes ce qu’il leur avait donné ?

 C’est une des qualités de la bonté de Dieu, comme dit St Paul, que les dons gratuits de Dieu et ses grâces sont sans repentance ; il ne donne pas pour ôter ensuite.

Sa divine providence, qui a créé l’homme, le ciel et la terre, les conserve et conservera toujours.

Alors que dirons-nous donc de l’Église ?   Comment abandonnerait-il l’Eglise qui lui coûte tout son sang et tant de peines ?      

« Alors, beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin, d’autres, des feuillages coupés dans les champs. » Marc 11, 1-10

Sermon de Saint François de Sales, 23 mars 1614 (Œuvres,IX,36)

Notre Seigneur s’acheminant vers Jérusalem, ceux de la ville vinrent au-devant de lui, et coupaient des branches d’olivier et de palmier pour orner le chemin par où il passait.

Chacun sait que la palme est donnée aux martyrs comme signe de la victoire qu’ils ont remportée sur tous leurs ennemis ;  mais l’olivier représente les confesseurs qui ont fait beaucoup pour la gloire de Dieu en temps de paix, car l’olivier est le symbole de la paix. On le voit lorsque Dieu, apaisé après le déluge, envoya à Noé, qui était dans l’arche, une branche d’olivier par la colombe.

Mais si la palme appartient et représente particulièrement les martyrs, elle appartient aussi aux confesseurs, car la vie des justes est un continuel martyre. Ils sont en un combat continuel contre leurs ennemis, que sont leurs propres passions et inclinations, dont ils demeurent maîtres, les soumettant toutes à la raison ; et ce n’est pas une petite victoire, mais une victoire plus grande que de conquérir plusieurs villes.

Je fais la considération suivante sur ce peuple qui jetait ses habits par les rues où passait notre Seigneur, pour embellir le pavé.

Que représentent, je vous prie, ces habits jetés sous les pieds du Sauveur ? En latin, habit et habitude, c’est le même mot ; or ces bonnes gens nous apprennent que si nous voulons bien honorer notre divin Maître, autant que possible, il faut que nous jetions devant lui toutes nos habitudes, tant bonnes que mauvaises.

Qui saura mettre ses vertus aux pieds de notre Seigneur, ne voulant les posséder que pour l’honorer, et non pour sa propre vanité, ou bien pour en être estimé ?